Etude clinique et moléculaire des amélogenèses imparfaites
Les amélogenèses imparfaites (AI) représentent un groupe hétérogène dans l’expression clinique et le mode de transmission de pathologies affectant la formation/minéralisation de l’émail.
Ces maladies rares se traduisent par une atteinte de l’émail soit quantitative ou hypoplasique, soit qualitative ou hypominéralisée/hypomature.
Ces défauts peuvent être accompagnés par des anomalies dentinaires, radiculaires et des troubles de l’éruption.
De nombreuses classifications ont tenté de distinguer les différents phénotypes cliniques : celle proposée par Witkop en 1989 sert encore de référence. Cependant, la variabilité des phénotypes cliniques observés au sein d’une même fratrie ou chez un même individu sur ses arcades dentaires suggère la nécessité d’une classification moléculaire des AI.
En France, on estime qu’une personne sur 15 000 serait atteinte d’AI, soit environ 4000 personnes concernées.
Il n’y a pas encore eu, dans notre pays, d’enquêtes épidémiologiques ou de projets de recherche structurés permettant d’appréhender ces maladies incapacitantes et de faciliter leur prise en charge.
L’amélogenèse s’inscrit dans le développement dentaire sous-tendu par les interactions épithélio-mésenchymateuses entre ectoderme oral et ectomésenchyme du premier arc pharyngien. L’améloblaste, cellule différenciée du compartiment épithélial va tour à tour sécréter, participer à la minéralisation et résorber la trame protéique pendant la phase de maturation formant ainsi l’émail, le tissu plus minéralisé de l’organisme. Les protéines de structure présentes dans la matrice de l’émail sont l’amélogénine (plusieurs isoformes), l’améloblastine et l’énaméline. La tufteline, l’amélotine, des glycoprotéines sulfatées, d’autres protéines liant le calcium, la DPP (phosphoprotéine dentinaire), des lipides et phospholipides y sont aussi retrouvés. L’enamélysine (MMP20) et la kallikréine 4 (KLK4) sont des protéinases impliquées dans la dégradation matricielle.
Principalement confinées à un rôle structural dans la formation de l’émail, certaines de ces protéines pourraient participer à d’autres processus physiopathologiques plus généraux et être impliquées dans la formation dentinaire, radiculaire et parodontale.
On évoque aussi un rôle possible de l’amélogénine dans la signalisation cellulaire, la formation cartilagineuse et osseuse des os longs ou la régénération parodontale.
Le diagnostic différentiel des anomalies de l’émail d’origine environnementale ou systémique requiert une analyse détaillée des antécédents médicaux du patient et du caractère transmissible dans la famille.
Les AI concernent non seulement des protéines de structure de l’émail mais aussi des enzymes, des facteurs de transcriptions et des protéines impliquées dans le métabolisme phosphocalcique.
La majorité des AI sont transmises selon un mode autosomique dominant. Actuellement, le seul gène mis en évidence dans ce mode de transmission est l’énaméline, ENAM. Les mutations rapportées à ce jour correspondent à une altération sévère de l’émail - lisse et hypoplasique - associée ou non avec une anomalie des maxillaires de type béance. La béance représente en elle-même une preuve de la participation de cette protéine à la formation des bases osseuses. Des mutations d’ENAM sont aussi impliquées dans des AI transmises selon le mode autosomique récessif. Des mutations de MMP20 et KLK4 sont responsables d’AI hypomatures autosomiques récessives. Dans 6 % des cas l’AI se transmet comme un trait dominant lié au chromosome X : elle est due à des mutations du gène AMEL codant pour l’amélogénine. D’autres gènes candidats ont été proposés sur la base de leur expression dans les améloblastes : l’améloblastine, la tufteline, l’amélotine mais cette liste n’est pas exhaustive et de nombreux gènes responsables d’AI ne sont pas encore connus.
Les pathologies ou anomalies bucco-dentaires génétiquement conditionnées sont un des aspects des syndromes. Ainsi les AI participent au tableau clinique des syndromes suivants : AI hypoplasiques et néphrocalcinose ; AI et atrophie des cônes et des bâtonnets ; AI et platispondylie ; AI, taurodontisme, cheveux bouclés et os sclérotiques dans le syndrome tricho-dento-osseux (DLX3) ; AI, épilepsie et retard mental dans le syndrome de Kohlschutter-Tonz ; AI et onycholyse terminale ; AI, leukonychie et surdité neurosensorielle (syndrome de Heimler) ; AI, carcinome neuroendocrine des glandes salivaires, surdité neurosensorielle.
Objectifs et stratégies: Nous proposons une étude sans bénéfice direct, qui a pour objet de combiner une étude clinique et une étude moléculaire afin de préciser les contours cliniques de ces maladies et d’envisager des corrélations phénotype/génotype.
L’étude clinique menée dans le Centre de Référence des Manifestations Odontologiques des Maladies Rares, du Service de Soins Bucco-Dentaire des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et dans les centres de compétences affiliés vise à préciser le phénotype bucco-dentaire. Les données seront rassemblées dans la base de données D[4]/phenodent développée par le Centre de Référence. Les patients seront adressés aux services de génétique médicale partenaires afin de préciser les données familiales et génétiques et surtout d’explorer les manifestations phénotypiques associées. Des prélèvements salivaires et ou sanguins constitueront la base d’une DNAthèque. Le phénotype clinique sera complété par une analyse anatomopathologique ultrastructurale (Equipe INSERM U596, J. Hemmerle) des tissus dentaires disponibles (perte physiologique des dents temporaires, avulsions réalisées lors de la prise en charge bucco-dentaire…).
L’étude moléculaire est abordée par l’analyse évolutive moléculaire avec J.Y. Sire (UMR 7138, Université Pierre & Marie Curie-Paris 6). Cette méthode permet de prédire, à partir d'une base de données de séquences construite dans un contexte évolutif, les maladies génétiques associées à des mutations. Elle permet de valider (ou d’invalider) très facilement les mutations qui auront été décelées dans des gènes candidats par séquençage direct comme étant responsables (ou non) des défauts observés dans les tissus dentaires. Pour les familles informatives et pour lesquelles la recherche de mutations dans les gènes connus serait négative, des études moléculaires visant à localiser puis identifier de nouveaux gènes seront réalisées au Laboratoire de Génétique Médicale d’Interface de l'Université Louis Pasteur de Strasbourg (Equipe d'Accueil, H. Dollfus).
Conclusions: Les AI sont très mutilantes et nécessitent des soins très coûteux de réhabilitation. Notre projet précisera les contours cliniques et moléculaires des AI, pour en améliorer le diagnostic, la compréhension physiopathologique et la prise en charge. Cette maladie rare constitue en outre un modèle particulièrement pertinent pour l’étude des mécanismes cellulaires fondamentaux s’appliquant au développement et à la croissance de l’organisme ainsi qu’à la régénération.